Publié le 22 mai 2024 Mis à jour le 22 mai 2024

Le 24 mai, dans le cadre du "ciné-séminaire Afrique", l’Humathèque Condorcet et l'Imaf présentent "Tilaï (1990)", d'Idrissa Ouedraogo. Cette projection sera suivie d'une discussion en présence de Adama Ouédraogo, Béatrice Korc et Brice Ahonou.

Date(s)

le 24 mai 2024

à 17 h
Lieu(x)

Humathèque Condorcet

Type(s) d'évènements
Agenda_ciné-séminaire Mai 2024
Agenda_ciné-séminaire Mai 2024 - © Maya Ben Ayed Affiche Ciné Séminaire Afrique

Quand Saga revient dans son village, après deux ans d’absence, il découvre que sa fiancée, Nogma, est devenue la deuxième femme de son père. Saga n’accepte pas cette situation et refuse de réintégrer la maison familiale. Il se construit une hutte à l’écart du village où il retrouve Nogma. Les deux jeunes gens s’aiment encore. Leur liaison renaît, mais elle est vite découverte. Aux yeux du village, Saga a accompli un inceste et doit mourir. Son frère, Kougri, est désigné pour le tuer afin de venger l’honneur du village. Kougri, cependant, ne peut pas accomplir ce geste fatal…

Troisième long-métrage du réalisateur burkinabè Idrissa Ouedraogo (1954-2018), Tilaï, la "loi" en mooré, "question d’honneur" dans le titre français, c’est une réflexion sur l’homme dans la société, sur sa relation aux lois et aux valeurs qui régulent la vie sociale, mais également sur sa relation à son destin, à sa liberté. Tilaï, c’est aussi une remise en question du "retour à soi-même", pour reprendre les mots du réalisateur.[1]

La beauté saisissante de ce film, qui fut couronné du Grand Prix du Jury à Cannes en 1990 et de l’Étalon d’Or de Yennenga au FESPACO en 1991, émane de la concordance entre sens, esthétique et moyens. Parfois classé, de manière superficielle et à tort, parmi les films africains de tendance "culturelle" répondant aux attentes exotiques d’un public occidental, par opposition aux films de tendance "politique"et "idéologique" des débuts du cinéma africain, Tilaï résiste aux catégorisations. Le récit filmique est ancré dans la matérialité de la vie quotidienne dans un village burkinabé, dans les paroles et les gestes des habitants de ce village, mais il n’y a pas la moindre trace de complaisance folklorique ni de fascination ethnologique dans Tilaï.

En s’appuyant sur la force expressive de l’image, Idrissa Ouedraogo part d’un village burkinabè, l’être collectif central de ses trois premiers long-métrages, pour ouvrir sur l’horizon de la tragédie et du récit mythique. Le choix de confier la musique de Tilaï au compositeur et artiste de jazz sud-africain Abdullah Ibrahim reflète également l’intention du réalisateur d’apporter une ouverture au film par la connotation jazz de la musique. Celle-ci, jamais surplombante, accompagne les personnages dans l’espace diégétique, de l’enceinte du village au paysage ouvert des collines et des plaines, inscrit leurs corps dans ce paysage, et contribue, avec un jeu d’échelles de plan, à donner une géographie sensible aux problématiques abordées dans le film.

Avec Tilaï, Idrissa Ouedraogo a créé des images qui viennent d’Afrique et ont un point de vue différent, qui parlent à l’Afrique et, en même temps, ouvrent une fenêtre sur le monde. Il n’avait aucunement la prétention – comme le disait lui-même – de représenter son peuple ou "les valeurs africaines". À ceux qui questionnaient ses choix de réalisation, il rétorquait : "l’Afrique n’inventera pas les thèmes. Ils sont préexistants ; ils appartiennent à l’humain". Les thèmes sont universels "mais on n’en parlera pas de la même façon".[2] Il voulait donner une autre exigence à la création cinématographique africaine, celle d’être jugée à l’échelle du monde, au-delà du périmètre identitaire et ethno-culturel dans lequel le "cinéma africain" avait été enfermé depuis ses débuts.

[1] Jean-Pierre Garcia, "Le Choix. Rencontre avec Idrissa Ouedraogo", Cinéma 90, n° 468, juin 1990, p. 11.
[2] Entretien avec Idrissa Ouedraogo réalisé par Olivier Barlet, Paris 1995, cité dans Olivier Barlet, Les cinémas d’Afrique noire : le regard en question, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 75.