Mystique : aventures et mésaventures d’un mot des origines à nos jours

Le point de départ de l’enquête menée dans ce livre et commencée il y a sept ans, était un étonnement : pourquoi le mot "mystique" a-t-il tant changé de sens depuis le Moyen Âge ? Pourquoi ce qui désignait alors une manière d’expliquer l’Écriture ("sens mystique"), une réalité sacramentelle ou ecclésiale ("corps mystique"), ou une façon de nommer et penser Dieu ("théologie mystique"), s’est mis à signifier à rebours une sorte de rapport immédiat, intérieur, individuel et affectif au divin ?

On s'est donc efforcé d’examiner les significations successives du mot, du grec μυστικός à aujourd’hui ; de mettre au jour les causes de son évolution ; de replacer celle-ci dans une histoire longue, à la fois religieuse, littéraire et intellectuelle. La première partie de l’ouvrage explore les sens antiques et médiévaux de "mystique", la seconde étudie ses sens modernes du XVIe au XIXe siècle, la troisième – presque la moitié du livre – porte sur le seul XXe siècle, époque la plus riche pour l’enquête puisque le mot envahit les sciences de l’homme : psychiatrie et psychanalyse, sociologie et anthropologie, philosophie et théologie, histoire et comparatisme religieux, sans compter la littérature croyante ou non, la bande dessinée, le street art, la musique rock ou concrète, le sport et jusqu’à l’espionnage.

Prenant les sens les plus divers – archaïsme résiduel ou énergie créatrice, occultisme ou idéal face à la politique, religion dynamique ou adhésion sans réserve au duce, piété catholique ou racines du génie allemand – "mystique" devient un mot joker, un mot caméléon, que chacun remplit à sa façon, en s’abstenant le plus souvent de le définir. Privé d’une signification consensuelle, le mot conserve une fonction culturelle, et c’est en cela qu’il est instructif.

Faute d’exprimer un concept, il désigne un clivage versatile, entre nous-mêmes et un ailleurs ou un jadis tantôt méprisé tantôt regretté. Évoquant l’antithèse et le refoulé de notre culture occidentale, il attire l’attention sur ce qu’une certaine modernité bannit loin d’elle, mais qui continue de la vriller en sourdine. L’enquête sur le mot "mystique" et son histoire longue apparaît alors comme un moyen détourné de mieux nous connaître, nous tous qui avons tant besoin d’un mot que nous ne saurions définir.

Intervenants

Dominique Poirel : Directeur de recherche en édition critique et histoire intellectuelle des auteurs du Moyen Âge (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes / CNRS), directeur de l’Institut d’Études Médiévales à l’Institut Catholique de Paris, Correspondant à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Institut de France)

Simon Icard : chercheur CNRS au Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (LEM), enseigne à l’Institut Normand de Sciences Religieuses