Publié le 5 juin 2024 Mis à jour le 5 juin 2024

Le Ciné-séminaire Afrique se présente comme un espace hybride, de réflexion collective et de débat, entre séminaire de recherche et ciné-club. Le vendredi 7 juin, l'Humathèque accueille la projection de "Daratt" (2006), un film de Mahamat-Saleh Haroun. La projection sera suivie d'un échange entre le réalisateur et Anna Bruzzone,Maya Ben Ayed, chercheures à l'Institut des mondes africains (IMAF).

Date(s)

le 7 juin 2024

à 17 h
Type(s) d'évènements
Un village tchadien. Atim, seize ans, et son grand-père aveugle apprennent par la radio que le gouvernement a accordé une amnistie générale pour les crimes perpétrés pendant la guerre civile. L’adolescent se voit confier par son grand-père un revolver et la mission d’aller retrouver l’homme qui a tué son père. Atim quitte son village et part pour N’Djamena, à la recherche d’un homme dont il ne sait rien, sinon qu’il est le bourreau de son père. Il le localise rapidement : ancien criminel de guerre, Nassara est aujourd’hui rangé, marié à une jeune femme, Aïcha, et patron d’une petite boulangerie. Atim se rapproche de Nassara et se fait embaucher par lui comme apprenti boulanger, avec la ferme intention de le tuer…


Troisième long métrage du cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun, après Bye Bye Africa (qui reçoit le Prix du meilleur premier film et une Mention spéciale pour le Prix Luigi De Laurentiis à la Mostra de Venise en 1999) et Abouna (sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes en 2002), Daratt (Saison Sèche) décroche le Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise en 2006.

Ce film, d’une beauté fulgurante, ne traite pas de la guerre civile qui a ravagé le Tchad depuis 1965 (et qui a interrompu le tournage en 2006) mais de ses conséquences. Il sonde la réalité de l’après-guerre, une réalité qui est "omniprésente, comme une histoire en suspens, jamais terminée", où la vie est, malgré tout, "obstinément à l’œuvre, dans les champs de ruines et de cendres", comme le dit si bien Mahamat-Saleh Haroun. Dans un contexte où les bourreaux d’hier sont devenus des gens de pouvoir alors que ceux auxquels ils s’en sont pris sont les laissés-pour-compte d’aujourd’hui, comment réagir face à l’impunité ? La force du film réside dans la manière dont il pose, dans la dignité et sans la moindre trace de mélodrame, cette question : qu’est-ce que tuer un homme ?

Daratt est un film d’apprentissage qui traite de la nécessité du pardon pour pouvoir grandir. Comment créer son propre chemin pour sortir du cercle infernal de l’histoire et de la mémoire familiale c’est la question à laquelle Atim est confronté. Cet adolescent orphelin incarne toute une génération de jeunes Africains qui n’ont ni repères, ni références vis-à-vis desquelles se définir. Daratt explore la relation entre la guerre et le lien père-fils et s’interroge aussi sur la transmission, deux sujets qui sont cher à Mahamat-Saleh Haroun et qui sont également au cœur de Abouna et Un Homme qui crie (Prix du Jury à Cannes en 2010).

Conçue comme une scène théâtrale, la boulangerie de Nassara est un espace métaphorique : "le microcosme d’un pays où des parties de la population se détestent", pour reprendre les mots du réalisateur. La confrontation entre Atim, "celui qui n’a pas de père" et Nassara, qui est à la recherche de la rédemption dans la paternité, c’est une confrontation presque sans mots, animale, qui passe par les gestes et par les regards, filmés en plans serrés. Dans cet affrontement qui joue sur l’intensité des corps, le cinéaste travaille la matière humaine comme les deux personnages principaux travaillent la pâte à pain.

Dans son style épuré, Mahamat-Saleh Haroun débarrasse le film de tout élément exotique. Il ne fait rien pour exalter la couleur locale. Au contraire, il positionne le regard du spectateur d’une manière qui n’interroge plus des Africains dans un espace donné mais des hommes dans leurs réalité, ce qui fait que tout être humain peut se retrouver en eux.