Publié le 11 avril 2025–Mis à jour le 30 avril 2025
Du 20 mai au 13 septembre 2025, l’Humathèque Condorcet présente l’exposition Dans l’épaisseur du temps, une rétrospective des photographies de Dorrit Kröner Revault consacrée à la Tunisie des années 1960 et 1970.
Portée par le Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC) et soutenue par l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC Tunis), cette exposition invite à un voyage sensible dans les mémoires tunisiennes.
J’ai parcouru la Tunisie, empruntant routes principales et chemins de traverse. Émerveillée, j’ai découvert les strates multiples des peuples qui y ont vécu et y vivent encore. Loin des palais et des grandes villes, j’ai marché dans la campagne, me suis perdue dans les impasses des villages. J’y ai rencontré des femmes, des hommes et des enfants qui toléraient mes "trois yeux" indiscrets avec un sourire. — Dorrit Kröner Revault
C’est par ces mots que Dorrit Kröner Revault, photographe franco-allemande, se remémore ses années passées en Tunisie. Et c’est ainsi qu’elle introduit son œuvre photographique, désormais mise en dialogue avec les regards de chercheuses et chercheurs spécialistes du pays, qui en éclairent les dimensions politiques, sociales et culturelles — pour hier comme pour aujourd’hui.
Installée à deux reprises en Tunisie, Dorrit Kröner Revault a saisi les transformations profondes du pays à travers son objectif. D’abord, au lendemain de l’indépendance en 1956, elle documente les premiers pas du régime de Habib Bourguiba, la généralisation de l’éducation, et le positionnement de la Tunisie dans le mouvement des non-alignés. Puis, dans les années 1970, elle en capte le tournant autoritaire, plus restrictif, plus centralisé.
Cette inflexion politique se manifeste aussi dans la forme même de l’exposition : un passage du noir et blanc à la couleur. Les premières images, en noir et blanc, saisissent un moment fondateur : l’inauguration du Palais des congrès de Bizerte par Bourguiba, le 19 octobre 1964. Un peu plus loin, deux clichés en couleur ouvrent une nouvelle séquence : deux immenses portraits de Bourguiba et de sa nouvelle épouse y signalent l’entrée dans une ère de culte de la personnalité et de contrôle accru.
Mais les photographies de Dorrit Kröner Revault ne racontent pas seulement les gestes des “grands hommes”. Elle est avant tout une observatrice attentive des réalités sociales, des espaces genrés, des gestes du quotidien et du patrimoine. Elle capture ce que le temps dépose, couche après couche — l’épaisseur du temps.
L’exposition offre un double voyage, dans le temps et dans l’espace. Du nord au sud, elle traverse la Tunisie, touchant aux moments de rupture, aux instants d’espoir, aux trajectoires biographiques qui s’écrivent sur la longue durée.
Sept chercheuses et chercheurs se sont saisis de cette œuvre sensible, offrant une lecture richement contextualisée des images. Grâce à leurs analyses, l’exposition invite les visiteurs à tisser un arc entre le passé et le présent, entre les décennies fondatrices des années 1960-70 et leurs échos contemporains.
Dans l’épaisseur du temps propose un autre regard sur l’histoire tunisienne : celui de la mémoire visuelle, de l’intime et du sensible — un regard qui invite à penser autrement l’espace, le temps, et leurs réverbérations.
Contributions
Dorrit Kröner Revault
Photographe, muséologue
Dorrit Kröner Revault naît en 1940, à Stuttgart, dans une famille d’éditeurs. Venue d’une Allemagne marquée par les stigmates de la guerre, elle découvre la Tunisie en 1957, dans la liesse de la proclamation de la république. En 1959 elle intègre la Bayerische Staatslehranstalt für Photographie de Munich. Diplômée en 1961, elle collabore avec le graphiste Michael Engelmann, dans le domaine publicitaire.
Entre 1964 et 1971, elle séjourne quatre années en Tunisie, travaillant pour des architectes comme Armand Demenais ou Jacques Marmey et des archéologues. Les missions, que Nazli Hafsia lui confie pour l’Office du Tourisme Tunisien, lui permettent de sillonner le pays. Jacques Revault, lui fait connaître la Médina de Tunis et lui donne des clefs de compréhension de l’art tunisien. Elle suit avec un grand intérêt les cours de l’ethnologue Camille Lacoste.
De 1984 à 2005 elle est muséologue auprès du service des expositions temporaires de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris.
Commissaire de l’exposition
Lucie Drechselová, politiste, EHESS-CETOBaC
Contributions scientifiques
- Dorra Ben Alaya, psychologue sociale, Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis, Tunis
- Kmar Bendana, historienne, Université de La Manouba, Manouba
- Sophie Bessis, historienne, auteure de l’Histoire de la Tunisie (2022), Paris
- Benoit Challand, sociologue, New School for Social Research, New York
- Leyla Dakhli, historienne, CNRS, Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, Aubervilliers
- Jocelyne Dakhlia, anthropologue et historienne, EHESS, Paris
- Choukri Hmed, sociologue, Université Paris Cité, Paris