Le Ciné-séminaire Afrique se présente comme un espace hybride, de réflexion collective et de débat, entre séminaire de recherche et ciné-club. Le lundi 26 février, l'Humathèque accueille la projection de "Xala" (1974), un film de Sembène Ousmane. La projection sera suivie d'un échange entre Alain Sembène, fils du réalisateur et Catherine Ruelle, journaliste, critique de cinéma.
Au lendemain de l’indépendance, El Hadji Abdou Kader Bèye, la cinquantaine, négociant en import-export et membre de la Chambre de commerce de Dakar, prend une troisième épouse. Une grande fête est organisée pour le mariage, où se retrouve toute la bourgeoisie locale ainsi que les deux premières épouses. Le soir, cependant, impossible de consommer le mariage : El Hadji Abdou Kader Bèye se révèle impuissant. Il estime alors qu’on lui a ourdi un "xala", un sort frappant d’impuissance temporaire. Pendant qu’il consulte voyants et guérisseurs, ses affaires, négligées, périclitent. Alors qu’il semblait avoir atteint la réussite sociale et économique, El Hadji Abdou Kader Bèye se retrouve prostré et prêt à tout pour retrouver sa virilité…
En adaptant le roman du même titre dont il est l’auteur, publié en 1973, Ousmane Sembène recourt au pouvoir du cinéma de "cristalliser une prise de conscience"
[1] pour livrer une critique caustique du système d’organisation de la société au sortir de la période coloniale.
Allégorie politique en forme de fable, Xala fait la satire de la nouvelle bourgeoisie sénégalaise, érigée par-là en emblème des bourgeoisies africaines et du tiers-monde, "dont les représentants, après avoir combattu dans le passé les colonialismes français, anglais ou américain […] se sont constitués depuis les indépendances en nouvelles classes qui ne savent qu’imiter les bourgeoisies occidentales"
[2].
Xala dénonce la corruption politique et la domination de classe au sein d’un système patriarcal inepte à travers la mise en scène d’une masculinité en crise, où l’impuissance sexuelle symbolise l’impuissance d’une classe politique.
Cherchant à éduquer par le rire, Xala use de la satire sociale pour mettre en cause la polygamie et pour interroger le rôle et la place des femmes. Ce sont deux femmes, Awa, la première épouse, et Rama, la fille ainée du protagoniste, qui incarnent les seuls rôles positifs dans le film. Rama, en particulier, étudiante engagée, est l’une de ces femmes "nouvelles" chères à Sembène que l’on retrouve et dans ses romans et dans ses films.
[1] Pierre Haffner, « Entretien avec Sembene Ousmane à Kinshasa », Recherche, pédagogie et culture, n°37, 1978.
[2] Citation extraite de « Sembène parle de ses films », propos recueillis par Guy Hennebelle, CinémAction, n°34, 1985, p. 28.
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